ANALYSE DU COMMUNIQUÉ DE DAESH DU 26 /12/15
Le chef de Daesh
Abou Bakr al-Baghdadi a diffusé un message audio ce samedi 26 décembre
2015 qui commence par un verset du coran ( Sourate 9 verset 52) qui sera
analysé ici ainsi qu'une expression que l'on retrouve dans la
tradition musulmane de fraction sauvée, al-firqa al-nâdjiya "
LE VERSET EN QUESTION ( SOURATE 9 VERSET 52)
قُل هَل تَرَبَّصونَ بِنا إِلّا إِحدَى الحُسنَيَينِ ۖ وَنَحنُ
نَتَرَبَّصُ بِكُم أَن يُصيبَكُمُ اللَّهُ بِعَذابٍ مِن عِندِهِ أَو
بِأَيدينا ۖ فَتَرَبَّصوا إِنّا مَعَكُم مُتَرَبِّصونَ
TRADUCTION HABITUELLE
Dis : "Qu'attendez-vous pour nous, sinon l'une des deux meilleures
choses ? Tandis que ce que nous attendons pour vous, c'est qu'Allah vous
inflige un châtiment de Sa part ou par nos mains. Attendez donc! Nous
attendons aussi, avec vous".
ANALYSE
Dans la séquence à
laquelle appartient le verset ( 9; 52) , le Prophète se trouve en butte
aux réticences des puissants chefs de clans médinois à participer à ses
actions à cause des risques encourus. Ce n'est pas le seul passage, par
exemple : "le combat vous est prescrit (étant entendu qu'on ne peut
obliger personne) mais il vous répugne dans 2, 216 "
L'hostilité
de ces chefs de clan à la politique de Muhammad (ils sont en joie quand
tu as des problèmes) se lit clairement dans 9, 50. Cependant, ces hommes
qui récusent sa politique sont toujours ses alliés tribaux dans le
cadre de l'oasis médinoise. Il ne peut rien contre leurs réticences
sinon leur renvoyer des menaces eschatologiques, tout au moins dans le
discours. Les versets 9, 51, 52 sont la réponse coranique à ces
réticences
Sourate 9 verset 51
قُل لَن يُصيبَنا إِلّا ما كَتَبَ اللَّهُ لَنا هُوَ مَولانا ۚ وَعَلَى اللَّهِ فَليَتَوَكَّلِ المُؤمِنونَ
9, 51 "réponds-leur : nous ne serons atteints (tués ou blessés) que par
ce qu'Allah nous aura destiné (aura "écrit" pour nous) ; il est notre
allié protecteur, mawlâ (traduction habituelle le maître qui détruit le
contexte ) ; sur Allah que se reposent (entièrement donc sans crainte)
ceux qui sont entrés dans son alliance (traduction habituelle les
croyants)
Sourate 9 verset 52
قُل هَل تَرَبَّصونَ بِنا
إِلّا إِحدَى الحُسنَيَينِ ۖ وَنَحنُ نَتَرَبَّصُ بِكُم أَن يُصيبَكُمُ
اللَّهُ بِعَذابٍ مِن عِندِهِ أَو بِأَيدينا ۖ فَتَرَبَّصوا إِنّا مَعَكُم
مُتَرَبِّصونَ
9, 52 DIS-LEUR ENCORE : QUE POUVEZ VOUS DONC
ATTENDRE (tarabbasa guetter avec une intention hostile ou pour profiter
de la situation ; on retrouve le mot avec un sens équivalent dans, 57,
14 et 9, 98 ; 4, 141)
QU'IL NOUS ARRIVE SINON LES DEUX (choses
ou issues) LES PLUS HEUREUSES (la victoire et le butin ou la mort et la
rétribution eschatologique mais surtout ne pas introduire l'idée de
martyre puisque ce n'est pas l'homme qui va à la mort mais Allah qui
décide de sa mort) ?
PAR CONTRE NOUS, NOUS ATTENDONS POUR
VOUS QU'ALLAH VOUS ATTEIGNE EN VOUS FAISANT ENCOURIR UN TOURMENT
(ESCHATOLOGIQUE ) POUR VOUS OU QUE CELA SOIT DE NOS MAINS ; ALORS
ATTENDEZ DONC ET NOUS AUSSI NOUS ATTENDONS ! (guettez nous donc ; nous
faisons de même à votre égard )
LA FRACTION SAUVEE, AL-FIRQA AL-NADJIYA
"Que toutes les nations se soient liguées contre nous ne peut que
renforcer notre certitude que nous sommes sur la bonne voie" Abou
Bakr al-Baghdadi
Al Baghdadi affirme notamment que ses sympathisants sont le "groupe sauvé"
Cette notion ne relève pas du Coran ni de l'époque du Coran ni de la
société du Coran mais des représentations, issues des sociétés
postérieures pas avant le 9e s (début) avec un développement ultérieur.
C'est l'idée que devant les divisions de l'islam, seul un groupe sera
sauvé. On peut penser que l'on se trouve alors en face d'une résurgence
de l'idéologie du "reste (sauvé)" biblique (d'Israel, de Jacob, de Juda
qui se prolonge dans le christianisme et dans l'Apocalypse 7, 3-8).
La vision musulmane qui se fait jour dans le milieu des compilateurs de
traditions qui constituent le corpus des paroles prêtées à Muhammad
mais aussi à d'autres figures bibliques à travers une littérature dite
des isrâ'îliyât, à comprendre comme "récits des Fils d'Israël". Tout
cela est puisé dans le fonds composite des traditions aussi bien juives
que chrétiennes, textes canoniques mais aussi bien entendu apocryphes
variés, voire dans d'autres fonds comme celui de la tradition
indo-iranienne.
LA TRADITION DU GROUPE SAUVÉ
On voit
ainsi apparaître au milieu du 9e s dans le corpus des traditions d'Ibn
Hanbal (m 856) une tradition qui fait dire au prophète :
"Les
Fils d'Israël se sont divisés en 71 fractions dont 70 ont été anéanties
et dont une seule a survécu ; ma umma (à l'époque à comprendre comme les
musulmans donc comme communauté) se divisera en 72 fractions dont 71
seront anéanties et dont une seule sera préservée, khalasat ; ils (ses
compagnons) lui demandent alors : laquelle ? Il répond à deux reprises
: al-djamâ'a (le groupe uni)".
Il faut savoir que la tendance
hanbalité qui est à l'origine du sunnisme était connue sous le nom de
ahl al-sunna wa-l-djamâ'a, les "gens de la voie (du Prophète) et du
groupe resté uni". Les différents mouvements qui ,à partir de là ,vont
revendiquer d'être la fraction sauvée ont pour caractéristique commune
de se revendiquer au même titre du Coran et du corpus (plus tardif) du
hadîth prophétique contrairement aux théologiens plus anciens (les
mu'tazilites) qui ont toujours refusé toute validité au Hadith en voie
de constitution (à partir surtout du début du 9e s).
En dehors de
cette référence aux deux corpus conjoints, il y aura entre ces nouveaux
sunnites des luttes souvent féroces notamment entre les théologiens
acharites et les hanbalites.
L'expression actuelle la plus
extrême - à laquelle se rattache idéologiquement Daesh - est le
sunnisme d'origine hanbalite mais totalement exacerbé par l'idéologie
wahhabite, né au milieu du 18e qui pratique le takfîr, anathémisation et
meurtre des membres de toutes autres fractions musulmanes. Daech
s'affiche manifestement dans ce texte comme étant la "fraction sauvée"
qu'il faut rejoindre si on veut assurer son salut dans l'au delà.
La représentation du "reste sauvé" biblique est subrepticement évoqué
dans le Coran non pas en utilisant la terminologie hébraîque du she'âr,
le "reste" que l'on trouve dans les textes canoniques (notamment
Isaïe10, 20) mais à partir de la racine arabe BQY (rester ,
subsister).On en trouve un écho dans la sourate 11 verset 116. mais
cette représentation d'un groupe, ûlû al-baqiyya, de survivants (à
toutes les catastrophes qui ont accablé les Hébreux de la haute
antiquité ; évidemment c'est nous qui savons cela pas le Coran) . ne
trouve pas de point d'accroche dans la société d'origine constituée de
groupes multiples.
C'est ainsi que tout de suite après
l'évocation du groupe sauvé des générations (bibliques) antérieures de
11, 116, intervient l'affirmation selon laquelle Allah (divinité
respectueuse des alliances conclues) ne saurait être injuste (envers ses
alliés ). Allah ne fait pas disparaître les peuples qui se conduisent
bien. En Arabie il n'y a pas comme au Proche Orient la phobie de
l'envahisseur. Donc si la société est constituée de groupes multiples
c'est que la divinité l'a voulu. C'est de cette manière qu'il faut
comprendre 11, 117 : "si ton Seigneur l'avait voulu il aurait fait des
hommes un peuple/tribu unique (mais il ne l'a pas fait ; la réalité
anthropologique multiple de la société d'origine s'impose au discours)
alors que (vous passez votre temps) à être en désaccord"
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