vendredi 25 mars 2016

ANALYSE DU COMMUNIQUÉ DE DAESH DU 26 /12/15 par Rachid Benzine

ANALYSE DU COMMUNIQUÉ DE DAESH DU 26 /12/15
Le chef de Daesh Abou Bakr al-Baghdadi a diffusé un message audio ce samedi 26 décembre 2015 qui commence par un verset du coran ( Sourate 9 verset 52) qui sera analysé ici ainsi qu'une expression que l'on retrouve dans la tradition musulmane de fraction sauvée, al-firqa al-nâdjiya "
LE VERSET EN QUESTION ( SOURATE 9 VERSET 52)
قُل هَل تَرَبَّصونَ بِنا إِلّا إِحدَى الحُسنَيَينِ ۖ وَنَحنُ نَتَرَبَّصُ بِكُم أَن يُصيبَكُمُ اللَّهُ بِعَذابٍ مِن عِندِهِ أَو بِأَيدينا ۖ فَتَرَبَّصوا إِنّا مَعَكُم مُتَرَبِّصونَ
TRADUCTION HABITUELLE
Dis : "Qu'attendez-vous pour nous, sinon l'une des deux meilleures choses ? Tandis que ce que nous attendons pour vous, c'est qu'Allah vous inflige un châtiment de Sa part ou par nos mains. Attendez donc! Nous attendons aussi, avec vous".
ANALYSE
Dans la séquence à laquelle appartient le verset ( 9; 52) , le Prophète se trouve en butte aux réticences des puissants chefs de clans médinois à participer à ses actions à cause des risques encourus. Ce n'est pas le seul passage, par exemple : "le combat vous est prescrit (étant entendu qu'on ne peut obliger personne) mais il vous répugne dans 2, 216 "
L'hostilité de ces chefs de clan à la politique de Muhammad (ils sont en joie quand tu as des problèmes) se lit clairement dans 9, 50. Cependant, ces hommes qui récusent sa politique sont toujours ses alliés tribaux dans le cadre de l'oasis médinoise. Il ne peut rien contre leurs réticences sinon leur renvoyer des menaces eschatologiques, tout au moins dans le discours. Les versets 9, 51, 52 sont la réponse coranique à ces réticences
Sourate 9 verset 51
قُل لَن يُصيبَنا إِلّا ما كَتَبَ اللَّهُ لَنا هُوَ مَولانا ۚ وَعَلَى اللَّهِ فَليَتَوَكَّلِ المُؤمِنونَ
9, 51 "réponds-leur : nous ne serons atteints (tués ou blessés) que par ce qu'Allah nous aura destiné (aura "écrit" pour nous) ; il est notre allié protecteur, mawlâ (traduction habituelle le maître qui détruit le contexte ) ; sur Allah que se reposent (entièrement donc sans crainte) ceux qui sont entrés dans son alliance (traduction habituelle les croyants)
Sourate 9 verset 52
قُل هَل تَرَبَّصونَ بِنا إِلّا إِحدَى الحُسنَيَينِ ۖ وَنَحنُ نَتَرَبَّصُ بِكُم أَن يُصيبَكُمُ اللَّهُ بِعَذابٍ مِن عِندِهِ أَو بِأَيدينا ۖ فَتَرَبَّصوا إِنّا مَعَكُم مُتَرَبِّصونَ
9, 52 DIS-LEUR ENCORE : QUE POUVEZ VOUS DONC ATTENDRE (tarabbasa guetter avec une intention hostile ou pour profiter de la situation ; on retrouve le mot avec un sens équivalent dans, 57, 14 et 9, 98 ; 4, 141)
QU'IL NOUS ARRIVE SINON LES DEUX (choses ou issues) LES PLUS HEUREUSES (la victoire et le butin ou la mort et la rétribution eschatologique mais surtout ne pas introduire l'idée de martyre puisque ce n'est pas l'homme qui va à la mort mais Allah qui décide de sa mort) ?
PAR CONTRE NOUS, NOUS ATTENDONS POUR VOUS QU'ALLAH VOUS ATTEIGNE EN VOUS FAISANT ENCOURIR UN TOURMENT (ESCHATOLOGIQUE ) POUR VOUS OU QUE CELA SOIT DE NOS MAINS ; ALORS ATTENDEZ DONC ET NOUS AUSSI NOUS ATTENDONS ! (guettez nous donc ; nous faisons de même à votre égard )
LA FRACTION SAUVEE, AL-FIRQA AL-NADJIYA
"Que toutes les nations se soient liguées contre nous ne peut que renforcer notre certitude que nous sommes sur la bonne voie" Abou Bakr al-Baghdadi
Al Baghdadi affirme notamment que ses sympathisants sont le "groupe sauvé"
Cette notion ne relève pas du Coran ni de l'époque du Coran ni de la société du Coran mais des représentations, issues des sociétés postérieures pas avant le 9e s (début) avec un développement ultérieur. C'est l'idée que devant les divisions de l'islam, seul un groupe sera sauvé. On peut penser que l'on se trouve alors en face d'une résurgence de l'idéologie du "reste (sauvé)" biblique (d'Israel, de Jacob, de Juda qui se prolonge dans le christianisme et dans l'Apocalypse 7, 3-8).
La vision musulmane qui se fait jour dans le milieu des compilateurs de traditions qui constituent le corpus des paroles prêtées à Muhammad mais aussi à d'autres figures bibliques à travers une littérature dite des isrâ'îliyât, à comprendre comme "récits des Fils d'Israël". Tout cela est puisé dans le fonds composite des traditions aussi bien juives que chrétiennes, textes canoniques mais aussi bien entendu apocryphes variés, voire dans d'autres fonds comme celui de la tradition indo-iranienne.
LA TRADITION DU GROUPE SAUVÉ
On voit ainsi apparaître au milieu du 9e s dans le corpus des traditions d'Ibn Hanbal (m 856) une tradition qui fait dire au prophète :
"Les Fils d'Israël se sont divisés en 71 fractions dont 70 ont été anéanties et dont une seule a survécu ; ma umma (à l'époque à comprendre comme les musulmans donc comme communauté) se divisera en 72 fractions dont 71 seront anéanties et dont une seule sera préservée, khalasat ; ils (ses compagnons) lui demandent alors : laquelle ? Il répond à deux reprises : al-djamâ'a (le groupe uni)".
Il faut savoir que la tendance hanbalité qui est à l'origine du sunnisme était connue sous le nom de ahl al-sunna wa-l-djamâ'a, les "gens de la voie (du Prophète) et du groupe resté uni". Les différents mouvements qui ,à partir de là ,vont revendiquer d'être la fraction sauvée ont pour caractéristique commune de se revendiquer au même titre du Coran et du corpus (plus tardif) du hadîth prophétique contrairement aux théologiens plus anciens (les mu'tazilites) qui ont toujours refusé toute validité au Hadith en voie de constitution (à partir surtout du début du 9e s).
En dehors de cette référence aux deux corpus conjoints, il y aura entre ces nouveaux sunnites des luttes souvent féroces notamment entre les théologiens acharites et les hanbalites.
L'expression actuelle la plus extrême - à laquelle se rattache idéologiquement Daesh - est le sunnisme d'origine hanbalite mais totalement exacerbé par l'idéologie wahhabite, né au milieu du 18e qui pratique le takfîr, anathémisation et meurtre des membres de toutes autres fractions musulmanes. Daech s'affiche manifestement dans ce texte comme étant la "fraction sauvée" qu'il faut rejoindre si on veut assurer son salut dans l'au delà.
La représentation du "reste sauvé" biblique est subrepticement évoqué dans le Coran non pas en utilisant la terminologie hébraîque du she'âr, le "reste" que l'on trouve dans les textes canoniques (notamment Isaïe10, 20) mais à partir de la racine arabe BQY (rester , subsister).On en trouve un écho dans la sourate 11 verset 116. mais cette représentation d'un groupe, ûlû al-baqiyya, de survivants (à toutes les catastrophes qui ont accablé les Hébreux de la haute antiquité ; évidemment c'est nous qui savons cela pas le Coran) . ne trouve pas de point d'accroche dans la société d'origine constituée de groupes multiples.
C'est ainsi que tout de suite après l'évocation du groupe sauvé des générations (bibliques) antérieures de 11, 116, intervient l'affirmation selon laquelle Allah (divinité respectueuse des alliances conclues) ne saurait être injuste (envers ses alliés ). Allah ne fait pas disparaître les peuples qui se conduisent bien. En Arabie il n'y a pas comme au Proche Orient la phobie de l'envahisseur. Donc si la société est constituée de groupes multiples c'est que la divinité l'a voulu. C'est de cette manière qu'il faut comprendre 11, 117 : "si ton Seigneur l'avait voulu il aurait fait des hommes un peuple/tribu unique (mais il ne l'a pas fait ; la réalité anthropologique multiple de la société d'origine s'impose au discours) alors que (vous passez votre temps) à être en désaccord"

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